Dans quelques heures le Jury du 76è Festival de Cannes présidé par le cinéaste suédois Ruben Ostlund aura rendu son verdict. Qui seront les heureux gagnants d’un cru 2023 qui a proposé d’excellents films (et quelques déceptions).
Pour la palme d’or, deux prétendants sont au coude à coude.
La française Justine Triet avec « Anatomie d’une chute » réalise un de ses meilleurs films, sur un couple qui s’affronte psychologiquement. Leur querelle finira par la mort énigmatique du mari. A moins que le jury préfère honorer son excellente comédienne Sandra Hüller.
L’italien Marco Bellocchio est l’autre favori avec « Rapito », charge contre le fanatisme religieux, sur le rapt d’un enfant juif – baptisé bébé en secret par sa nourrice – commandé par le Pape pour l’élever dans le giron de l’Église catholique.
Forte présence italienne
L’Italie était aussi présente en compétition avec deux autres films. « Vers un avenir radieux » de Nanni Moretti, qui met en scène un cinéaste désabusé en tournage (Moretti himself) qui se lamente sur l’avenir du cinéma dominé par les plateformes et par le tournant politique que prend l’Italie. Scène hilarante où son assistant s’étonne du nombre des militants communistes, deux millions, autrefois dans la péninsule. Cette introspection mélancolique pourrait séduire et obtenir le Prix du scénario.
« La Chimère » d’Alice Rohrwacher, belle odyssée sur des pilleurs de tombes étrusques, (des « tombolari ») ne manque pas de charme grâce surtout à une grande liberté formelle, dont est coutumière la cinéaste, déjà lauréate d’un Grand prix pour « Les Merveilles » (2014). En exécutant cette fois la peinture d’une communauté de « tombolari » profanant le sacré pour survivre, confirmera t’il cette réussite ?
Les outsiders
Coup de cœur pour le nouvel opus d’Aki Kaürismaki « Les Feuilles mortes ». Burlesque, poétique, c’est la description d’une Finlande en perdition à travers le portrait de deux précaires, Ansa et Holappa qui cherchent l’âme sœur. Un Grand prix lui irait à ravir.
Avec « Les Filles d’Olfa » Kaouther Ben Hania a osé une forme hybride mêlant documentaire et fiction. Son point de départ, la vie d’Olfa, mère divorcée et de ses quatre filles. Les deux ainées, Rahma et Ghofrane « ont été mangé par le loup », autrement dit embrigadées par les islamistes de Daesh, elles sont parties faire le « djihad » en Lybie. La cinéaste tunisienne a fortement impressionnée et on ne comprendrait pas son absence au palmarès.
Elle vient déjà d’obtenir le une mention spéciale du jury du 27e Prix François-Chalais, “une récompense qui distingue un film qui traduit au mieux la réalité de notre monde“ le Prix de la 8e Semaine du Cinéma Positif : Vers un cinéma plus inclusif » et l’Œil d’or 2023 (Ex aequo avec « La Mère de tous les mensonges » d’Asmae El Moudir). Le jury a salué « le courage et l’imagination de Kaouther Ben Hania et Asmae El Moudir, qui inventent des dispositifs renouvelant avec audace les écritures du réel pour explorer et affronter le chaos du monde. Elles confirment avec force et détermination que le documentaire est un genre majeur du cinéma ».
Prix d’interprétation ?
Léa Drucker pourrait remporter le prix pour son rôle dans « L’Été dernier » de Catherine Breillat. Elle est renversante en avocate spécialisée dans les agressions sexuelles, qui entame une liaison dévastatrice avec le fils de son mari, un adolescent de 17 ans beau comme un Dieu. Tout à la fois glacée et sensuelle, Léa Drucker impressionne.
A moins que Julianne Moore la coiffe au poteau. Dans « May December » de Todd Haynes, elle incarne, avec délicatesse, une professeur qui est tombé amoureuse de son élève de 13 ans. Vingt ans plus tard, le couple n’est plus aussi fusionnel et Gracie est devenue une épouse fragile.
Wim Wenders était de retour avec « Perfect Days » sur le quotidien Hirayama, la cinquantaine, qui nettoie les toilettes publiques, récemment rénovées par des architectes, du quartier du quartier de Shibuya, à Tokyo. Héros quasi-muet qui porte le prénom d’un film de Yasujiro Ozu, « Un après-midi d’automne » réalisé il y a 60 ans et auquel Wenders avait consacré un documentaire « Tokyo-Ga » en 1985. Un prix d’interprétation irait comme un gant à son comédien Kōji Yakusho qui a un charisme fou.
Ken Loach, le retour
Prix du Jury à trois reprises (« Hidden agenda », « Raining Stones » et « La Part des anges ») et deux fois Palmes d’or (« Le vent se lève » 2006 et « Moi, Daniel Blake » 2016, Ken Loach est de retour dans ce festival de Cannes qui accompagne son œuvre depuis sa première sélection à la Semaine de la Critique avec « Kes « en 1970.
A la demande de Thierry Frémaux, directeur artistique du festival, il a accepté que « The Old Oak » soit en compétition. Avec son talent habituel, le cinéaste de 87 ans, raconte les tensions que vont provoquer l’arrivée de réfugiés syriens ayant fui le régime de Bachir-Al-Assad, dans une petite ville anglaise du nord de l’Angleterre gangrénée par la paupérisation après la fermeture des mines. Une très longue ovation a salué l’un des films les plus poignants de cette sélection officielle 2023. Alors une quatrième palme ?
« J’aime écouter ce que tout le monde dit sur les différents films. […] Je n’ai pas l’intention de faire figure d’autorité de quelque manière que ce soit », dixit le président du jury Ruben Ostlund qui a aussi promis « une approche très démocratique de la présidence ». Wait and see.