À une exception près, le palmarès dévoilé par le Jury du 73è festival de Cannes a rencontré notre plein assentiment. De Ruben Ostlund, le président, (deux fois Palme d’Or, en 2017, pour « Square » et en 2022 avec « Sans filtre »), on craignait une certaine « excentricité » qui lui collait à la peau, qu’il a eu le bon goût de remiser, pour la jouer collectif.
Palme d’Or incontestée, la française Justine Triet avec « Anatomie d’une chute » un de ses meilleurs films, sur un couple en crise sournoise, jusqu’au drame et au procès de sa femme ( ) coupable présumée de la mort de son mari.
Un grand moment de cinéma qui a emporté l’adhésion du public présent à Cannes et donc celle aussi du jury qui aura ainsi attribuée à une réalisatrice, cette troisième palme d’Or, succédant ainsi à sa compatriote Julia Ducournau « Titane» (2021) et à la néo-zélandaise, Jane Campion « La leçon de piano », (1993), confirmant, si besoin est que les femmes ont une place de plus en plus prépondérante dans l’industrie du cinéma.
Avec cette particularité, concernant Juliette Triet, c’est que la lauréate aura tenu à se faire l’écho des enjeux de son temps, de sa société et enfin de sa corporation : « Cette année, le pays a été traversé par une contestation historique, unanime, contre la réforme des retraites qui a été niée par le pouvoir de manière choquante ». (…) « Cette exception culturelle française qu’on doit absolument préserver et chérir. Tous les gens du monde entier nous envient cette non-rentabilité des films. C’est quelque chose de très précieux… Je ne pense pas qu’à moi, je pense à d’autres. » Respect !
Prix du Jury, « Les Feuilles mortes », l’un de nos coups de cœur, que ce nouvel opus d’Aki Kaürismaki. Burlesque, poétique, chaplinesque, une description d’une Finlande en perdition à travers le portrait de deux précaires, Ansa et Holappa qui cherchent l’âme sœur. C’est à ses merveilleux comédiens, Jussi Vatanen et Alma Pöysti, que le Prix a été remis en l’absence de Kaürismaki reparti en Finlande. « Même si j’ai acquis aujourd’hui une notoriété́ douteuse grâce à des films plutôt violents et inutiles, mon angoisse face à des guerres vaines et criminelles m’a enfin conduit à écrire une histoire sur ce qui pourrait offrir un avenir à l’humanité́ : le désir d’amour, la solidarité, le respect et l’espoir en l’autre, en la nature et dans tout ce qui est vivant ou mort et qui le mérite. » avait-il déclaré, auparavant, lors de la projection du film.
Prix d’interprétation féminine, à Merve Dizdar dans « Les Herbes Folles » du turc Nuri Bilge Ceylan.
En Anatolie orientale, Nuray (Merve Dizdar), jeune professeure, blessée dans sa chair lors d’un attentat, va faire la rencontre de Samet (Deniz Celiloglu) enseignant lui aussi. Pour Nuri Bilge Ceylan, écrire et réaliser cette histoire était l’occasion d’un double état des lieux illustrant aussi bien le désespoir des habitants des zones reculées que les problématiques liées à au monde de l’éducation en Turquie. Merve Dizdar interprète avec force cette réalité.
« J’aimerais dédier ce prix à toutes les femmes qui mènent une lutte pour surmonter les difficultés à exister dans ce monde et garder l’espoir », a déclaré émue Merve Dizdar alors que ce dimanche, les femmes turques ont à craindre le résultat des élections présidentielles, leurs droits et leurs libertés reculant de plus en plus.
Prix d’interprétation masculine Kōji Yakusho, au charisme inégalé dans « Perfect Days » de Wim Wenders. L’acteur japonais accède ainsi à 67 ans à la consécration internationale. Il y interprète Hirayama, la cinquantaine, qui nettoie les futuristes toilettes publiques, du quartier de Shibuya, à Tokyo. Il est l’un des acteurs les plus célèbres du Japon, aussi bien à l’aise dans des films populaires ou d’auteur. Wim Wenders était ému aux larmes quand le comédien a reçu son prix, car il rêvait depuis longtemps de tourner avec cette icône du cinéma japonais.
« Je veux particulièrement remercier Wim Wenders et le co-scénariste […]. Vous avez créé un personnage magnifique » a dit Kōji Yakusho partagé entre sourire et larmes.
Prix du Scénario pour Sakamoto Yuji pour « Monster » réalisé par le japonais Kore-Eda Hirokazu.
Tout en abordant thème de la parentalité, Sakamoto Yuji déploie son scénario autour d’un même drame raconté du point de vue de plusieurs personnages. Comme l’avait fait son illustre compatriote, Akira Kurosawa dans « Rashomon ». Son intrigue relate une relation d’amitié très étroite, esquissée entre deux jeunes élèves, victimes de harcèlement scolaire.
Prix de la Mise en Scène à Trân Anh Hùng pour « La passion de Dodin Bouffant »
Le cinéaste franco-vietnamien a porté à l’écran le roman « La Vie et la Passion de Dodin-Bouffant, gourmet, de Marcel Rouff, publié en 1924. Titre international « The Pot-au-feu ». Deux heures durant, on y voit Dodin Bouffant (Benoît Magimel) élaborer des mets sophistiqués aidé par sa cuisinière Eugénie (Juliette Binoche) dont il est aussi éperdument amoureux, mais qui lui résiste. Tran Anh Hung filme longuement l’élaboration de festins pantagruéliques. Crise de foie garantie.
« Le film célèbre le plaisir de la nourriture tel qu’on n’a plus le temps de le pratiquer dans nos vies modernes. » a commenté l’auteur de « La papaye verte », caméra d’Or en 1993.
Grand Prix à Jonathan Glazer pour « The Zone of Interest »
Alors que l’horreur est juste derrière la barrière de leur jardin, Rudolf Höss, et sa femme Hedwig s’efforcent de construire une vie de rêve pour leur famille dans une maison avec jardin à côté du camp.
« À chaque étape de ce projet, nous avons eu parfois des difficultés mais nous y sommes parvenus », a commenté le cinéaste anglais de 58 ans, qui n’avait plus tourné depuis 2014 (« Under The Skin »).
Un film glaçant adapté du roman de Martin Amis consacré à Rudolf Höss, le commandant du camp de concentration d’Auschwitz.
Les films italiens, « dimenticato ».
Seul bémol à ce palmarès, l’absence d’au moins un film italien. Pourtant le jury avait le choix :
– Le splendide « Rapito » de Marco Bellocchio, charge contre le fanatisme religieux, sur le rapt d’un enfant juif – baptisé bébé en secret par sa nourrice – commandé par le Pape pour l’élever dans le giron de l’Église catholique
.- « Vers un avenir radieux » de Nanni Moretti, qui met en scène un cinéaste désabusé en tournage (Moretti himself) qui se lamente sur l’avenir du cinéma dominé par les plateformes et par le tournant politique que prend l’Italie. Le Prix du scénario aurait pu lui convenir.
-Enfin « La Chimère » d’Alice Rohrwacher, belle odyssée sur des pilleurs de tombes étrusques, (des « tombolari ») ne manquait pas de charme grâce surtout à une grande liberté formelle.
Un peu d’humour, pour conclure : L’heureux récipiendaire de la Palme Dog, prix indépendant remis depuis 2001 à la meilleure performance canine sur grand écran (prix créé par le journaliste britannique Toby Rose en 2001) est revenu au chien de race Border Collie, « Snoop » pour sa remarquable pour sa prouesse dans le film « Anatomie d’une chute » de Juliette Triet, où il campe le rôle de chien pour non voyant, dans le film, il est le compagnon de Samuel, jeune garçon malvoyant.
Mais nous, nous avons aussi beaucoup aimé, « Chaplin », le chien abandonné qu’adopte Ansa dans « Les Feuilles Mortes » d’Aki Kaurismäki, qui a obtenu le grand prix du jury.
PALMARÈS
Palme d’or ANATOMIE D’UNE CHUTE réalisé par Justine TRIET |
Grand Prix THE ZONE OF INTEREST réalisé par Jonathan GLAZER |
Prix de la Mise en Scène TRÂN ANH Hùng pour LA PASSION DE DODIN BOUFFANT |
Prix du Jury LES FEUILLES MORTES réalisé par Aki KAURISMÄKI |
Prix du Scénario SAKAMOTO Yuji pour MONSTER réalisé par KORE-EDA Hirokazu |
Prix d’Interprétation Féminine Merve DIZDAR dans LES HERBES SÈCHES réalisé par Nuri Bilge CEYLAN |
Prix d’Interprétation Masculine Kōji YAKUSHO dans PERFECT DAYS réalisé par Wim WENDERS |