Tarik Saleh a été reconnu internationalement avec «Le Caire Confidentiel» en 2015. Ce qui lui aura valu un bannissement en bonne et due forme du pays des Pharaons. Le cinéaste, égyptien par son père, vit maintenant en Suède. Son dernier opus» Boy from Heaven», présenté en compétition, ne va certainement pas hâter son retour au pays natal…
Par Dominique Lorraine
Par chance -ou plutôt par la grâce d’un miracle arrangé par l’imam du village-, Adam, fils d’un pêcheur de sardines du Nord du pays, obtient une bourse pour étudier à la prestigieuse université du Caire, Al-Azhar, ce haut-lieu de l’islam sunnite. «Comme le personnage principal, mon grand-père est originaire d’un petit village de pêcheurs et a étudié à l’université Al-Azhar». Quand il y arrive, le jeune Adam n’est pas tout à fait comme un poisson dans l’eau tant il est impressionné par la majesté des lieux. Il ferait penser au jeune héros de Robert Musil dans «les Désarrois de l’élève Törless» (adapté au cinéma par Volker S. Schlöndorff), désorienté, en questionnement perpétuel sur les valeurs morales de la société et leur signification. Mais son quotidien bien rôdé, ponctué par les leçons et les prières sera bouleversé par la mort soudaine du Grand Iman. Son remplacement s’avère un enjeu d’une grande importance pour les services secrets, soucieux surtout de faire triompher un candidat gagné à leurs idées, tout autant pour repousser l’influence intégriste que pour pérenniser leur pouvoir au sein de cette université islamique historique. Dès lors, tous les coups sont permis et Adam va être le jouet d’un officier expérimenté et rusé, Ibrahim, qui va jeter son dévolu sur lui pour en faire sa «taupe» à l’intérieur d’Al-Azhar. Contraint et forcé, Adam va devenir le couteau suisse, multifonctions, qui ira jusqu’à discréditer le favori (salafiste) pour en faire élire un autre plus enclin à être réceptif aux directives venues d’en haut. De leur côté, les Frères musulmans intriguent et essaient de gagner aussi Adam à leur cause.
Un conclave a lieu, un nouveau chef est élu. Adam, qui n’a pourtant pas démérité, devient un témoin gênant et se retrouve pris entre deux feux, théoriquement amis, l’armée et la police. Sauf qu’il n’a plus la naïveté du début, on l’a vu grandir, apprendre à penser et gagner en maturité et en bon sens, ce qui lui permettra de sauver sa peau. «Boy from Heaven» se suit comme un thriller au rythme des intrigues et des manigances des uns et des autres. Mais c’est aussi un film politique sur l’Egypte de Sissi avec la collusion entre religion et politique et le récit d’initiation d’un jeune adolescent qui passe du statut de pêcheur à celui de membre de l’élite intellectuelle d’une société musulmane.
Aucun gras dans ce scénario machiavélique qui verra triompher la vertu d’Etat érigé en raison qui contient nombre de similitudes narratives avec «le Nom de la Rose» d’Umberto Eco. Ce qui ne serait nullement un hasard : «Je relisais ce livre, quand je me suis demandé et si je racontais une histoire de ce genre, mais dans un contexte musulman ?», confie Tarik Saleh.
Face à Farès (Ibrahim, dépeigné et dégingandé), qui jouait déjà un flic retors, enquêteur dans «Le Caire Confidentiel», le jeune comédien Tawfeek Barhom (Adam) est d’une justesse infinie. «Boy from Heaven» est écrit à la manière d’un roman de Harlan Corbin, truffant son histoire d’une multitude d’intrigues. Ce qui n’est pas du tout étonnant, le cinéaste ayant souvent clamé son goût du fait littéraire : «Je déteste être réalisateur. Je viens du monde de l’art et de la peinture et j’aime être seul (…) En outre, je me vois davantage comme un écrivain.» Et Tarik Saleh d’ajouter : «D’une certaine façon, ce film est une lettre d’amour à l’Egypte et un hommage à mes grands-parents.».