Comme tous les événements qui ont marqué l’histoire contemporaine de notre pays et, plus particulièrement, la Guerre de Libération nationale (GLN), le 5 juillet 1962 a son histoire. Une histoire aussi singulière que complexe.
Par Fouad SOUFI*
C’est par la loi no 63/278 du 26 juillet 1963 que le 5 juillet a été fait fête légale, celle de l’Indépendance et du FLN. Cette loi avait été promulguée par le Chef du Gouvernement, président du Conseil des ministres, ministre des Affaires étrangères Ahmed Ben Bella, après délibération et adoption par l’Assemblée nationale constituante. Elle a été contresignée par les trois vice-présidents, Houari Boumediène, Saïd Mohammedi et Rabah Bitat, et l’ensemble des ministres.
On peut considérer que l’extraordinaire liesse populaire a inscrit à tout jamais le 5 juillet 1962 dans notre histoire. Mais, il est tout aussi vrai, néanmoins, que trois années plus tard, le 5 juillet 1965 fut triste, les drapeaux ne furent pas arborés sur les balcons et aux fenêtres, pas de festivités particulières. Par contre, à partir de 1966, la commémoration du 5 Juillet se confond avec les défilés militaires suivis des défilés de la jeunesse et des Algériades et des mouvements d’ensemble au stade du 20-Août puis, dans celui du 5-Juillet.
En juillet 1982, toutes les festivités prévues sont annulées en témoignage de solidarité avec les peuples palestinien et libanais, victimes, depuis le 6 juin, de l’invasion du Liban par Israël. Alors même que les communiqués officiels, relayés par la presse écrite, faisaient du 5 Juillet la Fête de l’Indépendance et de la Jeunesse, ce n’est qu’en 2005 qu’un changement intervient dans l’intitulé donné par la loi à cette fête. Le 5 Juillet 1962 devient, par les effets de la loi n° 05-06 du 26 avril 2005, la Fête de l’Indépendance, mais elle n’est plus celle du Parti.
Tout monde se souvient, en 2012, de l’incompréhension de l’opinion publique et dont la presse nationale s’était faite l’écho, face à la tiédeur des festivités organisées à Alger, au contraire des grosses réactions en France. Mais fêtait-on la même chose ? Pour nous, le déclenchement de la guerre de Libération est plus important que sa conclusion. «La lutte sera longue, mais l’issue est certaine», peut-on lire dans la Proclamation du 1er Novembre. De leur côté, pour les Français, le 5 juillet 1962 marque la perte de l’Algérie française !
Débat et réalité historique
Dans les années 1990, le débat sur le statut historique et mémoriel du 5 Juillet 1962 a porté sur sa réalité historique et son usage. Le professeur Brahim Brahimi, dans un article-interview accordé au quotidien Horizons, avait souligné que la véritable date de l’Indépendance est le 3 juillet et non le 5 juillet. De la même manière, pour le défunt professeur Abdelmadjid Merdaci, avait écrit que «sur le strict plan historique, ce fait ne peut être contesté : l’Algérie est devenue un Etat souverain et indépendant à la date du 3 juillet 1962». Le débat a repris, en 2012, à l’occasion du 50e anniversaire de l’Indépendance. On avait même parlé de «falsification de l’histoire !» La raison et la fierté nationales ont outrepassé la réalité historique.
Il faut se souvenir que dans son communiqué du 3 juillet 1962, le Président de la République française avait pris acte, officiellement, des résultats du référendum du 1er juillet et confirmé ainsi le choix des Algériens pour l’Indépendance. A cette date, «les compétences afférentes à la souveraineté sur le territoire des anciens départements français d’Algérie, sont donc à ce jour transférés à l’Exécutif provisoire de l’Etat algérien». La France transmet ses compétences à l’Exécutif provisoire mis en place après les Accords d’Evian du 19 mars, mais pas au FLN et encore moins au GPRA.
Le fait est là et les faits sont têtus ! Aussi, faire du 3 juillet la Fête de l’Indépendance, c’est, d’abord, implicitement puis, légalement, admettre et reconnaître que l’Algérie doit son indépendance à une décision du Président de la République française. C’est aussi implicitement et par voie de conséquence nier les sept années et demie de lutte armée ; c’est oublier les luttes politiques et sociales antérieures et tous les mouvements de révolte qui ont jalonné l’histoire de l’Algérie colonisée. C’est donc accepter que le choix d’une date symbolique de notre histoire nationale, de notre roman national soit le fruit d’une décision de l’Etat français et non le résultat des luttes du Mouvement national libérateur. Il faut relever également que personne n’avait appelé à manifester ni le 3 ni le 4 juillet. Au contraire, à Oran, après le meeting du Comité de Réconciliation du 29 juin, il avait été interdit de manifester du 30 juin, veille du scrutin, au 4 juillet, lendemain de la reconnaissance officielle de l’Indépendance.
La question reste entière : «Pourquoi alors le choix de la date du 5 juillet ?». Il est vrai que dans l’histoire contemporaine de notre pays deux événements particuliers ont été enregistrés comme des faits quasi-incontestables, le 5 juillet 1830 et le 5 juillet 1962. La colonisation de l’Algérie aurait commencé le 5 juillet 1830 et se serait achevée le 5 juillet 1962. «Ils sont entrés un 5 juillet, ils sont sortis un 5 juillet !». L’Histoire est certes bonne fille mais elle a ses exigences ! Elle ne peut se satisfaire de raccourcis même et surtout quand ils se donnent l’air sérieux. Comment comprendre ces deux «5 juillet» ?
Le 5 juillet 1830 est le jour de la capitulation du Dey Hussein et de l’occupation d’Alger par les troupes françaises, mais uniquement Alger, il faut le souligner. Nous en avons fait le début de la colonisation (132 ans de colonisation !) comme si, à cette date, l’histoire avait déjà été écrite. Mais, bien avant nous, en 1923, un historien français Gabriel Esquer, archiviste-bibliothécaire du Gouvernement général, avait fait de «La prise d’Alger, 1830, le commencement d’un empire». Le Dey et son entourage quittent la ville, la population d’Alger, en premier lieu et celle de Dar es Soltane réagissent chacune à sa manière au fur et à mesure des avancées et des razzias de l’armée française. Il en fut de même pour les trois beys. Le Bey Hadj Ahmed de Constantine reprend le combat en revendiquant sa légitimité. Et pour cause. Ses deux autres collègues ont développé une autre attitude. Celui de Médéa essaie en vain de résister et celui d’Oran, abandonné par tous et surtout par la Qadiriyya de Sidi Mahi-Eddine, père d’Abd-al-Qader, le futur Emir. Le Bey Hassan et sa famille prennent le chemin de l’exil. Il faut souligner que le commandement français confie Oran et le beylik à un bey tunisien ! Aussi, dire que la colonisation française de l’Algérie a commencé le 5 juillet 1830, c’est aussi nier deux tentatives nationales. Celle de Hadj Ahmed qui se posait en héritier légitime de l’Ancien Régime et celle de l’Emir Abd el Qader, qui avait posé et développé les jalons d’un Etat nouveau. La fin de l’expérience de l’Emir, le 27 décembre 1847, d’ailleurs plus que celle du Bey Hadj Ahmed trop isolé, a sonné le glas de la liberté pour le peuple algérien.
Fêté en grande pompe un siècle plus tard – les fameuses fêtes du Centenaire en 1930– le 5 juillet devient vite une journée de deuil pour le mouvement national. En 1952, l’organe du MTLD, l’Algérie Libre rappelle à ceux qui l’auraient oublié que le 5 juillet 1830 est une journée de deuil pour le peuple algérien. Dans al Manar du 7 juillet 1953, Mahfoud Bouzouzou, dirigeant SMA, rappelle que le 5 juillet 1830 dit par l’administration coloniale «anniversaire de la Convention Bourmont», était l’anniversaire d’un événement calamiteux, l’anniversaire de l’occupation d’Alger par les troupes françaises. Il en sera ainsi jusqu’en 1961, comme le montre la lecture d’El Moudjahid des années 1956-1962.
Le changement intervient le 5 juillet 1961. Le GPRA lance un appel, le 1er juillet, pour le 5 juillet, à une Grande grève nationale contre la Partition de l’Algérie. Le succès de cette grève confirme le choix des Algériens quant au destin qu’ils souhaitent pour leur pays. Au plan international, le GPRA remporte une seconde éclatante victoire, après celle des Manifestations de Décembre 1960. Il a renforcé sa position de représentant légitime et unique du peuple algérien. Le 5 juillet 1961 s’inscrit, pourtant, dans la liste des journées disparues de l’histoire du Mouvement national. Cette grande grève et les manifestations qui s’ensuivirent sont l’une des clés qui expliquent le choix de la date du 5 juillet comme journée de commémoration de l’Indépendance, en 1962, puis confirmée par une loi en 1963.
Le choix du 5 juillet, par l’Assemblée nationale constituante, ne peut-il être considéré comme le dernier point sur lequel l’ensemble des acteurs nationaux étaient d’accord ? La chronologie des événements a fait du 5 juillet la date de la plus grandiose manifestation jamais connue jusqu’à nos jours. Elle a secoué toutes les villes et tous les villages du pays. Il est vrai, aussi, que cela a conduit à une sorte de télescopage dans notre mémoire collective entre un 5 juillet 1830, journée de deuil, et un 5 juillet 1962, journée de liesse populaire.
5 juillet, une date grandiose
Il n’en demeure pas moins qu’entre ces deux représentations de la date de l’Indépendance, il faut, pour la compréhension des événements, insérer tout à la fois, le 5 juillet 1961, la crise au sein du FLN, les derniers jours de la présence française en Algérie et le départ massif des Européens. S’il est vrai que depuis le 19 mars de nombreuses régions d’Algérie, sinon la majorité, connaissent le calme et même la paix, d’autres au contraire étaient encore soumises aux rudes combats contre l’OAS. L’Exécutif provisoire assurait tant bien que mal la gestion du pays.
Enfin, il y a un autre 5 juillet dans ce 5 juillet 1962. Si le calme est revenu à Alger après l’accord du 17 juin entre l’Exécutif provisoire et l’OAS, à Oran, l’OAS locale n’avait pas renoncé à son œuvre destructrice. A Oran, les fidayine du FLN sont engagés dans une terrible lutte contre l’OAS depuis une année. Ils sont renforcés par la venue des premiers éléments du MALG entrés à Oran avant ou après le 19 mars, selon les témoignages. Tous furent placés depuis cette date sous la direction de la Zone autonome d’Oran (ZAO) créée par la Wilaya V et dirigée par le capitaine Bakhti Nemmiche. L’attentat à la voiture piégée du 28 février (autre journée portée disparue de notre histoire nationale et officielle) avait illustré tragiquement le niveau de haine et de violence de l’OAS. Alors, après le 19 mars, une sorte d’alliance tactique s’établit entre la ZAO et l’armée française considérée désormais par l’OAS comme une armée d’occupation. Les soldats français victimes de l’OAS préfèrent être soignés à l’infirmerie du FLN à M’dina Jadida, plutôt qu’à l’hôpital civil, l’hôpital militaire Baudens étant trop loin. Les exactions, les tueries aveugles, les destructions commises par l’OAS séparent toujours Algériens et Européens. Une sorte de frontière invisible avait déjà traversé les quartiers depuis au moins l’été 1961.
Un marqueur identitaire
Par leurs actions, par leur sacrifice suprême, les fidayine du FLN ont maintenu Oran dans le giron national et ont donc évité que la ville ne devienne une enclave française.
Vaincus, les derniers chefs de l’OAS abandonnent la ville et la population européenne, le 27 juin, selon leurs propres témoignages, avalisés par les historiens. Le 5 juillet 1962 des défilés quittent notamment M’dina Jadida et convergent vers la place Hoche (actuelle place du 1er-Novembre), vers le siège de la mairie. Des coups de feu éclatent. Qui ? Où ? Pourquoi ? Un seul cri sort des manifestants : «C’est l’OAS !» Le décompte macabre des morts algériens et européens fait l’objet encore d’un débat tout comme, et surtout, les motifs de ce déchaînement de violence. Un autre 5 juillet est porté disparu.
La guerre ne s’est donc pas achevée le 19 mars, puisque ce n’était que le cessez-le-feu. Mais ce cessez-le-feu avait tout de même consacré la Proclamation du 1er Novembre. Par ses vaines provocations contre la population algérienne tant à Alger qu’Oran, l’OAS a trouvé sa raison d’être en essayant de le faire capoter. Le résultat le plus probant aura surtout été de faire la démonstration des très forts liens entre les Algériens, le FLN/ALN et le GPRA. La guerre ne s’est pas achevée non plus le 17 juin, comme essaie de l’avaliser un article (extrait d’un ouvrage) qui circule ces derniers temps. L’OAS-Alger a déposé les armes après avoir voulu négocier directement avec le GPRA une place dans le paysage politique de l’Algérie indépendante. Entre le 17 juin et le 5 juillet, des Algériens ont perdu la vie en fêtant la liberté à Oran. En tout état de cause, ces morts, quelle que soit leur origine, méritent respect et reconnaissance.
Ce sont bien ces grandes manifestations populaires qui ont inscrit à tout jamais, le 5 juillet 1962 dans notre histoire. L’acte politique du 3 juillet a vite été effacé au profit du souvenir de cette journée qui, à part les tragiques événements d’Oran, a marqué des générations entières d’Algériennes et d’Algériens. Le 5 juillet 1962 est et reste encore, le marqueur identitaire le plus puissant de notre Nation, mais après, bien après, le 1er Novembre 1954.
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*Inspecteur des bibliothèques et archives à la retraite
Ancien sous-directeur à la Direction générale des Archives nationales