A une semaine de la célébration de son premier anniversaire, le Hirak semble désormais s’inscrire dans la durée. Et dans les gènes des Algériens. A tel point que l’on n’ose plus imaginer un vendredi sans cet afflux de contestation populaire, préfigurant les assises d’une démocratie directe. Rien ne sera plus comme avant. L’inaltérabilité du Hirak est désormais acquise.

Assurément, c’est le printemps à Alger. Pied-de-nez à l’équinoxe ou effet Saint-Valentin ? Les fleuristes sont prêts et les roses si belles…
A 10 heures, c’est une ville paisible qui s’offre aux passants, si ce n’est cet amoncellement métamérisé de camions bleus, aux endroits stratégiques, qui rappelle que la ville est sous surveillance accrue comme chaque vendredi de Hirak.
10 heures. Alger pépère. Entre bouquets de fleurs, roses cellophanées inodores et senteurs de brioches au beurre. D’infortunés SDF peinent encore à se lever, encore emmitouflés sous des couvertures de fortune. Alger misère.
Dispositif analogue ce vendredi à celui de la semaine passée. C’est-à-dire toujours aussi allégé, matériellement parlant. Les plus fortes concentrations de véhicules de police se situent aux abords du siège du RCD, entre Meissonnier et Victor Hugo et le gros de la troupe à la Grande-poste et ses alentours immédiats. La mosquée « Errahma » est toujours sous surveillance discrète.
L’enjeu du vendredi matin, où manifestants et policiers jouent au chat et à la souris, est la sortie du « Hirak avant le Hirak ». Le coup de force du « carré des irréductibles », qui prendra son départ cette fois-ci en contrebas du marché Meissonnier, tentera de rejoindre, plusieurs fois mais sans succès, la rue Didouche Mourad, décrété « no Hirak’s land » avant 14 h. D’ailleurs, c’est toute la capitale qui fait l’objet d’une « mesure » interdisant tout « Hirak », la matinée du vendredi et décrétant depuis un moment déjà, des « heures d’ouverture et de fermeture du Hirak » et des « aires » aussi, au regard de tous les espaces scellés et interdits depuis des mois.
Le « carré des irréductibles » réussira son coup d’éclat dans les rues mitoyennes sous surveillance policière. Avec moins de fermeté que les semaines précédentes, les forces de police finiront par disperser les manifestants, avec brutalité parfois. Midi. Une seule interpellation est signalée, rue Victor Hugo, une vingtaine de minutes plus tard.

Belhadi, procureur maudit, procureur applaudi
C’est le visage qui aura marqué ce 52e vendredi. Sid Ahmed Belhadi était sur bien des portraits et sur toutes les langues. Ce jeune procureur-adjoint qui a osé défier le système judiciaire, sortir des rangs et qui, un certain 9 février dans une des salles d’audience du tribunal de Sidi M’hamed, au lieu de se livrer à un réquisitoire contre 19 détenus du Hirak, se fendit d’une plaidoirie en faveur de la révolution populaire et pour l’indépendance de la justice qui a ému jusqu’aux larmes les présents sur place. Sa mutation-sanction à Guemmar, au fin fond du Sud algérien, a touché beaucoup d’Algériens. Les manifestants de ce 52e vendredi ont tenu à le crier haut et fort. « Bravo Belhadi, tu honores la justice et ton pays ! » Sur une affiche on peut lire : « Mohamed Belhadi, fierté de la justice algérienne ! » A contrario, le responsable de sa mutation, Zeghmati, le ministre de la Justice, n’est pas en odeur de sainteté. Le Hirak lui prédit toujours un séjour carcéral à El Harrach… Quand on sait que tous ceux que le Hirak a pointé du doigt, on finit par s’y retrouver… Le dernier en date, Anis Rahmani, le sulfureux patron d’Ennahar, l’intouchable pendant des années, a fini à la case prison. Dans un impitoyable « jeu de loi ». Son arrestation est presque passée inaperçue. Une affiche y fait vaguement allusion « A la prison de Koléa, il y a des voleurs et des innocents ». Karim Tabbou, Boumala, Farsaoui, Laâlami sont, par contre fortement présents au carré des familles des détenus, dans celui du Cnld et au Réseau contre la Répression.
Les détenus anonymes du Hirak reviennent en force chaque vendredi. Comme les disparus et les « détenus » des années 90. Si pour les familles de disparus le problème se pose en termes de « deuil impossible à faire » tant que ces cas, pour la plupart documentés, mais dont les corps ne sont pas identifiés, la question des « détenus » reste entière. D’abord, il y a juste des visages sans noms sur les banderoles et les pancartes, ensuite, pourquoi n’ont-ils pas bénéficié des dispositions de la loi sur la réconciliation nationale. Autant de question auxquelles il faudra bien répondre un jour…

Ali Ghediri, le retour…
Une présence qui a surpris plus d’un. Le retour du comité de soutien au détenu Ali Ghediri après des mois d’absence. En effet, la dernière apparition d’un comité de soutien au Dr Ali Ghediri (remarquez que l’on évite le vocable ex-général), cela s’était mal passé. Les membres du Comité de soutien ont dû battre en retraite et s’éclipser du Hirak jusqu’à ce vendredi où, certainement engaillardis par la libération de Louisa Hanoune et à l’approche de l’examen du cas Ghediri par la justice, ce mercredi normalement, ils ont décidé de revenir dans l’arène pour plaider la cause du « Lion d’Algérie » pouvait-on lire sur une banderole. Le Comité de soutien à Ali Ghediri, fort d’une trentaine de personnes, s’installe avec pancartes et banderoles sur le trottoir, à côté du carré féministes qui, en ce moment, bat le rythme aux cris de « libérez les détenus, ils n’ont pas vendu de cocaïne ! » A quelques mètres de là, le Dr Oulmane se livre à sa séance photo hebdomadaire, chacun voulant « sa » photo avec l’affiche du jour. Cette fois, et histoire du galliforme d’El Biar oblige, c’est un coq qui, dans « un cocorico libertaire, s’insurge contre les arrestations arbitraires et plaide pour la libération des détenus d’opinion ». Plus loin, Nawel, activiste assidue des mardi et vendredi, prend la pose, poing levé, avec des figures connues du Hirak et d’autres moins connues. Pour un album pérenne du Hirak.

St-valentin et emblème amazigh
Messaoud Leftissi marque son retour « acté » par une pancarte. Comme au bon vieux temps. Avant la prison. Saint-Valentin de circonstance, sa pancarte est toute en vénération. L’esquisse d’un cœur et cette phrase : « Pour l’amour de l’Algérie, happy constituent day ! » Leftissi croit toujours et avec force que la véritable solution à la crise du pouvoir en Algérie passe inévitablement par une assemblée constituante…
La St-valentin a été l’occasion pour de nombreux manifestants d’exprimer leur amour pour le Hirak. Pour l’Algérie. Pour la liberté. Et des cœurs à ne plus en finir : « Je t’aime Hirak », « je t’aime ma révolution » une autre pour les Hirakistes « je vous aime ô vous les libres ! » Une jeune femme déclare sa flamme : « je déclare mon amour inconditionnel à la liberté ! » Une autre, très possessive : « mon seul et unique amour : l’Algérie ! »
De l’amour identitaire aussi. Avec une éclosion d’emblèmes amazighs. Et toujours ce réflexe chez quelques policiers, né d’un certain discours un certain 19 juin. Cette forte tentation d’appropriation de l’emblème amazigh dès son apparition. C’est ce qui s’est passé place Audin où des policiers ont tenté de s’en accaparer. Sauf qu’ils se sont retrouvés coincés au milieu de la foule, ne réussissant ni à confisquer l’objet du délit, ni les auteurs du délit et pour se dégager de là, ils ont dû dégoupiller une grenade de désencerclement pour se dégager de l’étau. Heureusement, sans dégâts.
Ce vendredi, il y avait des roses et des mots d’amour. Aux consonnances libertaires.