« Le cinéma documentaire intéresse les jeunes aujourd’hui : c’est un cinéma de la réflexion qui est porteur de sens. » (Catherine Bizerrn)
Le festival international du film documentaire vient de se tenir à Paris au Centre Pompidou avec un grand succès. Il faut dire que la programmation concoctée par sa déléguée générale et directrice artistique Catherine Bizern, était à la fois diverse et de qualité.
Un hommage a été rendu à Franssous Prenant, monteuse, scénariste et réalisatrice française dont les films, tenus comme un journal de bord, mais déclamés comme de longs poèmes, explorent l’histoire coloniale. La cinéaste a une intime connaissance de l’Algérie, où elle a vécu de novembre 1963 à juin 1966 : « Ces trois années ont été pour moi la découverte de la liberté. Ce sont les moments les plus heureux de mon existence »
« Habibi » (1983) avec Okacha Touita, « I am too sexy for my body, for my bo-ody » (2012) autour de la seconde édition du festival Panafricain d’Alger de 2009: « J’ai filmé plusieurs troupes de danse en répétitions ou en repré-sentations ; les corps lévités des danseurs, l’énergie la grâce et la vie qu’ils dégagent. »
Ce fut aussi le surprenant « Bienvenue à Madacascar » en 2015. C’est en effet par ces mots que Franssou Prenant fut accueillie à l’ambassade de Madagascar à Alger à la fin des années 1990. S’en suit au hasard des rues, une déambulation qui entremêlent histoire et souvenirs : « Saisies de mon coin de rue au cours d’aventures urbaines, des images d’Alger, où enfant, au sortir de l’indépendance, j’ai appris la liberté. »
Son dernier opus « De la conquête » 2022, déconstruit l’entreprise coloniale qui visait la destruction et l’anéantissement de la civilisation algérienne tout au long de la conquête française. La bande son laisse suinter (pour notre plus grande consternation) des discours et écrits insensés de personnalités plus ou moins illustres, enchâssés entre 1830 et 1848, faisant pièce et contre point des images contemporaines de la France et l’Algérie. Dessinant sans concession aucune, les contours d’une occupation sanglante de l’Algérie.

C’est aussi une enfant d’Algérie, de Relizane précisément, Dominique Cabrera qui sera là dans cette 45e édition du Réel. Son premier documentaire « Ici là-bas » (1988) explorait ses origines «pied-noir », puis en 1997 une bouleversante fiction portée avec force par Claude Brasseur et Roshdy Zem « De l’autre côté de la mer » sur un industriel pied-noir qui était resté en Algérie après l’indépendance.
La cinéaste revient cette année avec un documentaire sur un autre enfant d’Algérie, de Skikda (ex- Philippeville) Jean-Louis Comolli, un habitué de la Cinémathèque algérienne du temps de Ahmed Hocine puis de Boudjemaa Kareche « Bonjour Monsieur Comolli » dans lequel la cinéaste filme Jean-Louis Comolli, critique de cinéma et réalisateur, quelques mois avant sa mort, le 19 mai à de 80 ans. Jean-Louis Comolli et Jean Narboni, autre critique des « Cahiers du Cinéma, ont fait leurs premières armes dans les années soixante au ciné-club d’Alger qu’animait Barthélemy Amengual, un intellectuel militant pour l’indépendance de l’Algérie où il vécut jusqu’en 1968.
Comolli a raconté ses années algériennes dans un beau livre « Une terrasse en Algérie ». Cet essai est une ode à la vie, on y parle de cinéma, de la vie, de l’amour, de rencontres et du goût de la langue arabe qu’il tenait de son médecin de père. Un bel hommage à celui qui ne se prenait jamais au sérieux.
« Un Mensch » est tout aussi émouvant, dernier documentaire en date de Dominique Cabrera qui filme son compagnon Didier atteint d’un mal incurable. Pudique, la caméra s’approche, filmant son visage, ses mains, son regard. Précieux instants avant la disparition. Homme politique, Didier Motchane fut celui qui dessina pour le Parti socialiste français le logo « Le poing et la rose »,
L’Iranien Mehran Tamadon, réfugié en France, mais qui n’a jamais coupé le cordon ombilical avec son pays natal poursuit son exploration des mœurs persanes en ce quelles ont de plus nobles mais aussi de moins reluisants, surtout quant elles s’attaquent à l’intégrité morale et physique au nom de la raison d’état.
« Là ou Dieu n’est pas » donne la parole à Taghi, Homa et Mazyar qui de leur exil parlent avec douleur mais aussi dignité des leurs corps et leurs esprits qui portent encore la trace des sévices infligés par des tortionnaires rétifs à toute prise de conscience.
Dans « Mon pire ennemi », Mehran Tamadon s’interroge sur son retour possible en Iran avec l’entêtante certitude que le débat d’idées est encore possible.
Une vertigineuse mise en abîme dont on ne sort pas tout à fait indemne.
Parmi les films remarqués « La Base » de Vadim Dumesh (Prix des jeunes, Ciné+) qui par son originalité et son humanité nous emporte. La base s’est tout simplement le gigantesque centre de transit des chauffeurs de taxi de l’aéroport parisien de Roissy-Charles de Gaulle. Cachés à nos yeux de voyageurs, ils attendant là leur tour pour aller aux stations devant les arrivées. Un lieu de vie où taxieurs de toutes les nationalités patientent tout en jouant aux boules, en jardinant, en écoutant de la musique ou en s’attablant à la buvette. Filmés avec leurs smartphones, ces hommes de tout âge font la chronique d’un monde qu’on n’imaginait pas. Un doc exceptionnel de Vadim Dumesh, originaire de Lettonie, tout à la fois réalisateur et producteur de cinéma documentaire, chercheur et journaliste, formé en cinéma, économie, arts et affaires publiques. Ceci explique cela.
L’excellent « Le fleuve n’est pas une frontière » du sénégalais Alassane Diago nous fait revivre un drame qui a opposé Mauritaniens et Sénégalais sur les rives du fleuve Sénégal. En 1989, un affrontement entre bergers et paysans frontaliers provoque une escalade de violence, qui aboutira à des dizaines de milliers de réfugiés mais aussi à des milliers de victimes, parfois massacrés avec atrocité. Réunis par le réalisateur sous un arbre à palabres, pour briser enfin le silence, témoins et victimes parlent et s’écoutent pour la première fois et tentent de comprendre ce qui s’est passé. Une mémoire commune est-elle alors possible avec ce film comme thérapie ?
Belle surprise aussi avec « Coconut Head Generation » d’Alain Kassanda (Grand prix du cinéma du Réel) qui plonge dans les débats passionnés d’un ciné-club hebdomadaire de l’université d’Ibadan, au Nigeria. C’est là que se forge la parole politique des mouvements contestataires des étudiants.
Cette 45e édition du Réel aura été un succès sur toute la ligne, ce qui renseigne surtout de la bonne vitalité de ce genre cinématographique. Pour la sélection 2023, plus de 1600 films ont été visionnés pour une sélection de … 40 œuvres, 40 pépites sans compter des rendez-vous de premier choix, à l’image de la rencontre avec le rarissime Jean-Louis Gorin, l’alter ego de Jean-Luc Godard, ensemble ils fondèrent le fameux groupe « Dziga Vertov ». Gorin a longtemps été plus dans l’ombre que dans la lumière, pourtant des deux J-L G c’est Gorin qui aura été le plus politisé des deux et ce, l’avis des « exégètes » en la matière.
D.L
(1) En référence au documentaire « Jean-Luc Godard, le désordre exposé » de Céline Gailleurd et Olivier Bohler