Par Ameziane Ferhani

Durant cinq jours instructifs et pétillants, un événement plus grand qu’il ne paraît…  

Sous la chaleur mordante de Bamako nappée par un voile composé de poussière saharienne, d’évaporations du fleuve Niger et d’émanations de motocycles et de fours à charbon, on peut découvrir des formes insoupçonnées de fraîcheur. Et d’abord celle de l’incroyable entrain de ses habitants dans leur combat quotidien, souvent ardu, sinon héroïque. Leur dignité dans l’adversité, la gentillesse de leur accueil, l’élégance colorée des femmes et la bonne humeur dominante font baisser le thermomètre subjectif de plusieurs degrés.

Certes, l’image de la pauvreté au Mali est là, étalée le long des routes et des rues, illustrant son indicateur multidimensionnel (68,3% selon le Rapport mondial sur le développement humain. PNUD, 2021/22). Certes encore, le déploiement sécuritaire vient rappeler la période délicate de transition et la situation tendue au Sahel où le pays apparaît comme un œil de cyclone géostratégique. Malgré tout, dans ses pulsions nourricières ou festives, la vie déverse son énergie en flots continus sur cette ville polymorphe qui n’en finit pas de s’étendre avec le rythme de croissance urbaine le plus élevé d’Afrique et le sixième au monde (citymajors.com) ! Dans ce maelstrom sous-urbanisé, le nouveau quartier ACI 2000, larges avenues à double-voies et buildings rutilants, esquisse un rêve de modernité auquel ici chacun et chacune semble vouloir croire. Tel que le chantaient Amadou et Mariam, le dimanche à Bamako demeure le jour des mariages, promettant d’augmenter davantage une population estimée à plus de 2,6 millions d’habitants.

Contre les flux abondants de pessimisme qui planent sur le pays, la Rentrée littéraire du Mali (RLM) se présente comme une manifestation improbable, une éclaircie heureuse dont la particularité est de se produire depuis quinze années désormais à la même période. Organisée avec de modestes moyens mais une dynamique méritoire, elle a réussi à forger son enseigne et à la rendre visible sur tout le continent et au delà. Comme les précédentes, conjoncture oblige, l’édition qui vient de s’achever (21-25 février 2023) s’est concentrée sur Bamako.

Cinq journées intenses autour d’une thématique que n’auraient pas désavouée Frantz Fanon ou Nelson Mandela : « Décloisonner l’Afrique ».

Vaste programme qui s’est particulièrement incarné à travers le premier Forum des manifestations littéraires en Afrique, durant les deux premiers jours de la RLM à l’Azalaï Hôtel Salam. L’établissement a également accueilli la cérémonie d’ouverture présidée par M. Andogoly Guindo, ministre en charge de l’artisanat, de la culture et du tourisme en présence d’une assistance nombreuse secouée par la lecture flamboyante de l’écrivain congolais Dieudonné Niangouna et emportée par la prestation du monument musical vivant,  Boubakar Traoré, dit Kar-Kar.   

Le Forum est sans doute la première initiative du genre qui décloisonne les aires linguistiques anglophones, arabophones, francophones, lusophones. S’y sont retrouvés une vingtaine de représentants ou acteurs de rencontres et salons littéraires de treize pays (Afrique du Sud, Algérie, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Ghana, Guinée, Madagascar, Mali, Mozambique, Maroc, Nigeria, Rwanda, Sénégal) ainsi qu’Afrilivres, association d’éditeurs d’Afrique francophone subsaharienne, de Madagascar et de l’Ile Maurice basée à Cotonou au Bénin.

Les deux journées ont permis de découvrir la diversité des manifestations littéraires africaines, soit rattachées à des salons du livre, soit autonomes. Diversité de formes et de formats donc mais aussi de démarches comme peuvent le souligner des expériences originales telles que les Littératures itinérantes du Maroc qui mettent les auteurs en place publique ou encore la remarquable initiative au Burkina Faso, fortement pédagogique puisqu’elle distribue des mois à l’avance à des classes de collégiens et lycéens, les œuvres des auteurs qu’elles rencontreront par la suite, après les avoir lues et étudiées avec leurs professeurs. Les participants se sont intéressés aussi à l’espace Esprit Panaf que le Salon international du Livre d’Alger abrite depuis 2009, année du 2e Festival culturel panafricain.

Similitude des desseins et conditions de ces manifestations, toutes visent à la promotion des littératures africaines mais évoluent dans des contextes loin de leur être favorables. La reconnaissance littéraire dépend souvent d’un passage par la case « étranger », celle de l’ancienne puissance coloniale en priorité. Si les efforts fournis donnent quelques résultats, ceux-ci demeurent contraints par la mondialisation de l’industrie du livre, de plus en plus concentrée entre les mains de quelques groupes multinationaux. Sans compter la crise mondiale du papier dont les cours ont triplé depuis la pandémie. Enfin, puisqu’il faisait partie des motifs mêmes de ce Forum, il n’a pas été difficile de constater le manque d’échanges intracontinentaux. Quelques initiatives en la matière sont venues évoquer un champ de possibilités qui relève plus du volontarisme que d’un écosystème durable.

À son issue, le Forum a adopté une déclaration. Pour mutualiser leurs efforts et « fédérer toutes les volontés et énergies vouées, d’une manière ou d’une autre, à l’essor du livre et de la littérature en Afrique » les participants ont décidé de créer un Réseau d’échanges et d’initiatives, par abréviation Ramali, afin de relier leurs activités et constituer une force de proposition à l’échelle du continent. Une coordination continentale de trois personnes élues par le Forum est chargée durant une année de mettre en place le Réseau, de lancer son activité et d’y faire adhérer, au titre de membre ou de partenaire, tous les acteurs du monde littéraire et éditorial qui le souhaiteraient.

Le Forum a, par ailleurs, décidé de lancer un appel à l’Union Africaine ainsi qu’à l’ensemble des gouvernements pour créer les meilleures conditions de développement du Livre, de la lecture et de la littérature sur le continent. Selon les débats qui ont argumenté cette décision, il y sera question de généraliser la TVA zéro pour le livre, tendance mondiale déjà en vigueur dans une douzaine de pays africains, et de lever les taxes douanières. Il est temps que l’organisation continentale agisse dans ce domaine stratégique au moment où le développement des réseaux numériques vient souligner l’enjeu de la production de contenus.

Autre rencontre professionnelle de cette Rentrée Littéraire du Mali, celle consacrée aux littératures de jeunesse. Une quinzaine d’éditeurs se sont livrés à un partage d’expériences et de bonnes pratiques avant d’envisager les voies et moyens de développer ce segment éditorial sur un continent qui compte la plus forte population de jeunes dans le monde (200 millions âgés de 15 à 24 ans). 

De nombreuses autres activités ont égrené la manifestation aux quatre coins de Bamako : cafés littéraires, séances de lecture et de dédicaces et tables-rondes, notamment au sein des lycées partenaires et des instituts universitaires. Musique et théâtre étaient également de la partie. Les planches de l’Institut français ont accueilli ainsi le concert du groupe Sobra Blues et la pièce « Qui connaît l’avenir ? » jouée seule en scène par la talentueuse Alima Togola.

C’est dans un lieu original que s’est déroulée la cérémonie de clôture. Le musée Muso Kunda fondé en 1995 par l’historienne Adame Ba Konaré regroupe des expositions permanentes ou exceptionnelles, un centre de recherche, une salle polyvalente, des ateliers et une boutique, le tout entièrement voué à la défense et la promotion des femmes. La remise des prix 2023 s’est tenue ici. Particulièrement attendu, le prestigieux prix Ahmed Baba est revenu au jeune romancier algérien, Mohamed Abdallah, pour son œuvre « Le vent a dit son nom » (Ed. Apic, Alger). Amadou Tidiane Traoré a obtenu le Prix de l’Union européenne du premier roman avec « La tragédie des hommes accroupis » (Ed. Cauris, Abidjan). Le Prix Massa Makan Diabaté est revenu à Sibirina Zan Coulibaly pour sa pièce de théâtre, « La parole au cou », (Ed. Gafé, Bamako). Quant au Prix Moussa Sow de l’Essai, il n’a tout simplement pas été décerné, son jury ayant estimé les candidatures insuffisantes.  

Ainsi s’est achevée cette 15e édition de la Rentrée littéraire du Mali menée brillamment par son chef d’orchestre, l’affable Ibrahima Aya, directeur exécutif, et sa troupe de bénévoles, Moussa Fomba à la coordination, Safiatou Fofana, Aïcha Loutandia, Guindou, toutes et tous gracieux et incroyablement disponibles, à l’image d’un peuple émouvant et accueillant. A. F.

Mohamed Abdallah, étoile montante des lettres   

À 25 ans seulement, il a déjà publié quatre ouvrages. Le dernier, « Le vent a dit son nom » (Apic, Alger, 2022), déjà lauréat du Prix Assia Djebar, tire son titre d’un vers de Rimbaud dans son poème à l’Emir Abdelkader.

Passionné d’histoire dont il traque la présence à travers le présent, son écriture porte la marque d’un futur grand écrivain. En lui décernant à l’unanimité le Prix Ahmed Baba (savant et homme de lettres de Tombouctou, 1556-1627), le jury l’encourage à déployer davantage son talent sur les chemins du labeur et de l’humilité dont il a jusqu’à présent fait preuve.