La 10e édition du Festival international du théâtre de Béjaïa qui devait se tenir en octobre 2019 a été reportée en raison de la tenue de l’élection présidentielle le 12 décembre 2019. « C’est une édition de rattrapage. Cette année, nous avons choisi la thématique de la famille et de l’enfance qui sera développée dans les pièces. Les écoles et les collèges de Béjaïa recevront des conteurs », annonce le dramaturge Slimane Benaissa, commissaire du Festival.
La tournée des conteurs est assurée par Moonia Aït Medour, Amina Mekahli, Seddik Mahi et Tayeb Bouamar. Le festival a débuté samedi 15 février au soir au Théâtre régional Abdelmalek-Bouguermouh par un hommage à la militante féministe Nabila Djahnine, présidente de l’Association « Cri de femmes », assassinée en 1995 à Tizi Ouzou. Lors de la clôture du festival, jeudi 20 février, un autre hommage sera rendu au comédien Omar Guendouz, celui qui, en 1983, avait accompagné Slimane Benaïssa sur scène dans la célèbre pièce « Babor Ghreq », et qui a eu plusieurs seconds rôles à la télévision et au cinéma. Lors de la précédente édition, Sid-Ahmed Agoumi, autre comédien, a été honoré par le festival. « Cette année, notre programmation artistique est africaine avec la participation du Sénégal et de la Tunisie notamment. Nous avons invité des responsables d’institutions théâtrales africaines pour tenir des séances de travail pour essayer de dégager des liens entre les théâtres et surtout des échanges de pièces. Il s’agit de permettre à nos acteurs de voyager, d’aller ailleurs. Ils sont trop enfermés ici », souligne Slimane Benaïssa. Sont présents à Béjaïa, Bousso Keyssi, directeur du Grand théâtre national de Dakar (Sénégal), Salma Desouky, ajdointe du commissaire du Festival de Charm Echeikh (Egypte), Limbvani Hughes Serge, commissaire du Festival international de Brazzaville (Congo), Lomp Etienne, directeur de la Maison de la culture de Bobo Dioulasso et directeur de la Semaine nationale de la culture (Burkina Faso), Koukoui Boniface ou Tola Koukoui, metteur en scène, comédien et initiateur du Festival international du théâtre du Bénin. Germain Coly, conseiller chargé de la coopération au ministère de la Culture du Sénégal.
Mémoires meurtries
« Timenfla », une pièce produite par le Théâtre régional d’Oum El Bouaghi, a été la première à être présentée au public, peu nombreux en raison d’une manifestation contre la tenue du festival, organisée par un groupe de citoyens devant les portes du Théâtre régional de Béjaïa avant la cérémonie d’ouverture. Mise en scène par Lahcen Chiba, d’après un texte d’Ali Tamert, la pièce est la version amazighe de « Tahssil Hassel », présentée en arabe en 2018 au Festival national du théâtre professionnel. Plongée dans le tragicomique et tirant vers le satyre, la pièce relate l’histoire d’un couple qui voit débarquer des inconnus, habillés en noir, dans leur maison, leur univers. Chaque intrus vient avec un discours ou une volonté de dominer. C’est une métaphore sur ce qui se passe dans la région arabe actuellement avec les agressions extérieures et les déchirements intérieurs. Les comédiens Samia Bounab et Hicham Guergah se sont distingués sur scène par un jeu correct et convaincant. La scénographie contemporaine d’Abdelghani Tayebi a donné une densité au récit, réussissant parfois à « remplacer » le texte. Autant que le personnage silencieux et tourmenté, présent durant toute la pièce sur scène, qui semble écrire des souvenirs ou des prédications mais qui se perd. Ses écrits sont en lambeaux, comme le sont les mémoires meurtries.
Charte Mandingue
Le comédien, dramaturge et metteur en scène sénégalais Djibril Goudiaby de la compagnie Bou Sanaa de Ziguinchor est venu à Béjaïa avec sa dernière création, « Le Musée ». La pièce évoque avec éclat un vieux débat africain, comment allier tradition et modernité et comment protéger le patrimoine des ancêtres ?
Diplômé en Europe, Inky rentre dans son pays, en Afrique, pour ouvrir un musée et contribuer à sauver ce qui peut l’être du patrimoine de son village. La volonté du jeune homme de récupérer l’héritage de son arrière grand-mère, une rebelle, est contrariée par son oncle qui ne veut pas qu’on touche « aux objets sacrés » et qui se comporte comme un gardien du temple. Il entend perpétuer la tradition à sa manière.
Le metteur en scène recourt aux techniques du théâtre documentaire en projetant sur scène des extraits de vidéos évoquant la mondialisation et ses ravages sur les cultures anciennes. Une mondialisation qui ne doit pas être rejetée, mais qui ne doit pas être acceptée aussi comme une fatalité.
Au fil des dialogues, la philosophie de la pièce apparaît comme une réponse à ceux qui ont prétendu que « l’homme africain n’était pas entré dans l’Histoire » est comme un plaidoyer pour la restitution des biens culturels de l’Afrique pillés en masse par les Européens lors des colonisations.
La pièce évoque aussi la fameuse Charte Mandingue considérée comme la première charte des droits humains mais qui a été ignorée par les manuels d’histoire. Cette charte, appelée « Mandingue Kalikan » a été proclamée autour de 1222 lors de l’intronisation de Soundjata Keita comme empereur du Mali par la confrérie des chasseurs. Elle portait sur plusieurs paroles (principes) comme le respect de la vie, le rejet de la guerre, la réparation des torts, l’importance de l’éducation et le bannissement de la famine et de la servitude. Construite sur une scénographie simple, la pièce de Djibril Goudiaby tire sa force autant du texte, intelligent et raffiné, que du jeu des comédiens comme David Hieme ou Clarice Ndione. C’est une pièce qui invite à la réflexion. C’est aussi cela le théâtre.
Ainsi, selon Cheira Di Marco, «ne pas maîtriser l’arabe dialectal, la langue avec laquelle sera interprété le spectacle, a un côté positif pour moi. Car si je ne comprends pas la scène, cela veut dire que les émotions ne passent pas, car ne pas comprendre les mots, cela m’aide à voir l’essentiel de la scène». Elle souligne, toutefois, que «d’autre part, cela est négatif. Car je ne remarque même pas s’ils oublient le texte et aussi au niveau de l’articulation pour savoir si elle est bien maîtrisée de la part de comédiens. Je reconnais que de ce point de vue, c’est assez difficile». Elle confie également que cette pièce est «ma toute première expérience de travail avec des comédiens d’une autre culture. J’ai travaillé avec des comédiens italiens que ce soit des professionnels ou des amateurs, mais c’est la première fois que je traverse la mer et travaille avec des jeunes Algériens». Quant aux comédiens de l’association « SOS Bab El Oued», ils ont déclaré que le plus difficile au début de la préparation de cette production était la langue. «Nous n’avons pas l’habitude de répéter en français et en italien, ce qui fait que cela était difficile les premiers temps », a précisé l’un d’eux qui enchaine : «Certes, il a fallu aussi traduire tout ce qu’on disait afin que Cheira comprenne, mais avec le temps on s’est habitué à cette situation.
D’ailleurs, elle commence à connaitre quelques mots en arabe. Il faut dire que cela fait plus d’un an que nous sommes sur ce projet.» De son côté, Nasser Meghnine, président de l’Association « SOS Bab El-Oued », a affirmé que «les premiers temps je ne me suis pas impliqué. J’ai laissé la troupe à l’aise, mais j’ai remarqué que du fait que Cheira ne comprenait pas la langue, l’équipe a profité de cela, ils se sont laissés aller. C’est là où j’ai décidé d’intervenir pour que le metteur en scène soit plus exigeant». Nasser Meghnine, explique aussi que «dans cette équipe, il y a trois ou quatre comédiens habitués à la scène. Les autres sont des nouveaux et c’est leur première expérience. Cela a été difficile pour eux de s’adapter au rythme. Mais, avec le temps ces jeunes ont compris qu’il fallait de la rigueur et redoubler d’efforts car le théâtre est un travail difficile». A l’issue de cette rencontre, la troupe de la pièce « Belleza » a exposé quelques extraits de son travail collectif.
Les comédiens ont ainsi interprété quelques scènes pour les médias présents. Les événements de cette histoire se déroulent dans un village qui ressemble à tous ceux qui existent à travers le pays, des enfants jouent autour de la fontaine, des adolescents regardent le temps passer et se racontent leur vie confondue entre rêve et réalité. Des choses quotidiennes sans aucun intérêt, grises comme un tableau fané. Une grand-mère raconte une histoire qui lui tient à cœur, une histoire spéciale, d’hommes extraordinaires à découvrir sur les planches du Théâtre national algérien, mercredi prochain à 18 heures.